Article du Pr Jean-Yves Naudet, publié le 4 janvier 2016 sur le remarquable site de l’IREF.
Myriam El Khomri, Ministre du travail, est satisfaite des résultats du chômage publiés le 24 décembre. Un cadeau de Noël en trompe l’œil. Une simple lecture du communiqué du ministère montre que la courbe ne s’inverse pas et une comparaison internationale confirme que nous sommes le seul grand pays dans ce cas. Il est temps de réfléchir aux vraies raisons de cette spécificité française.
La langue de bois ministérielle
La ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social (!) est novice dans son ministère, mais elle a vite appris la langue de bois. Son communiqué du 24 décembre est un modèle du genre : « Au-delà des variations mensuelles, la tendance se confirme : le nombre de demandeurs d’emploi se stabilise sur les trois derniers mois (…). La tendance favorable est encore plus affirmée pour les jeunes ». Bref, tout va très bien, madame la marquise, et il faudra juste, dans « cette période de reprise graduelle », « consolider la croissance et renforcer notamment la formation et l’accompagnement des demandeurs d’emploi les plus fragiles » : une rustine de plus, et ça repart !
Les chiffres officiels démentent le Ministre
La lecture du communiqué officiel du ministère infirme ce bel optimisme. Certes, fin novembre 2015, en France métropolitaine, le nombre de demandeurs d’emplois sans aucune activité (catégorie A) diminue de 0,4% (soit -15 000 personnes). Il s’établit tout de même à 3 574 800. Mais il faut aller au-delà des variations mensuelles : le chômage a bien diminué en novembre, mais il avait augmenté en octobre, diminué en septembre, augmenté en août,…Jamais depuis deux ans il n’y a eu deux mois de baisse de suite ! Juger sur trois mois n’a pas plus de sens que sur un mois. Or, sur un an, le nombre de chômeurs de cette catégorie a augmenté de 2,5%. Il n’y a donc pas inversion de la courbe.
Pourquoi s’en tenir à la catégorie A ? La catégorie B représente aussi des demandeurs d’emplois, ayant travaillé moins de 78 heures dans le mois, et la catégorie C ceux qui ont travaillé plus de 78 heures : ils sont bien les uns et les autres demandeurs d’emplois à la fin du mois. Si l’on regarde l’ensemble des trois catégories (A, B et C), il n’y a plus baisse, mais hausse en novembre (+ 0,1%) et plus encore sur un an (+ 5,1%). On est donc encore plus loin de l’inversion promise. Le nombre de chômeurs s’établit alors à 5 442 500, pour la seule métropole, et, si on y ajoute les départements d’Outre-mer, on est à 5 743 600 : pas vraiment de quoi pavoiser. C’est d’ailleurs le chômage structurel, celui de longue durée, qui s’aggrave le plus et l’ancienneté moyenne des demandeurs d’emplois est de 570 jours.
Une comparaison internationale édifiante
On dira que c’est « la crise » qui explique ce phénomène et que partout celle-ci a entrainé une aggravation du chômage. C’est faux pour la période récente. Il suffit de regarder les taux de chômage pour les principaux pays en 2007, juste avant la crise, en 2011, à mi-chemin d’aujourd’hui, et les dernières statistiques internationales (octobre 2015) publiées par l’OCDE dans son communiqué de presse le plus récent, celui du 9 décembre.
2007 | 2011 | 2015 | |
Moyenne OCDE | 5,6% | 7,9% | 6,8% |
Etats-Unis | 4,6% | 8,9% | 5,0% |
Japon | 3,8% | 4,6% | 3,1% |
UE (à 28) | 7,1% | 9,6% | 9,3% |
Zone euro (à 19) | 7,4% | 10,1% | 10,7% |
Allemagne | 8,7% | 5,8% | 4,5% |
Espagne | 8,2% | 21,4% | 21,6% |
France | 7,7% | 8,8% | 10,8% |
Italie | 6,1% | 8,4% | 11,5% |
Royaume-Uni | 5,3% | 8,0% | 5,2% |
Source : OCDE (2007 et 2011, moyenne annuelle ; 2015, dernière statistique publiée : octobre) |
En France, le chômage a continué à augmenter tout au long de la période, alors qu’il recule sensiblement dans la moyenne de l’OCDE. Hors d’Europe, la divergence est très sensible par rapport aux Etats-Unis, qui avaient le même taux de chômage que nous en 2011 et qui ont un taux deux fois plus faible aujourd’hui. Dans l’ensemble de l’Europe à 28, le recul est moins sensible, mais la situation s’est inversée : nous avions en 2011 moins de chômage que la moyenne, nous en avons, en 2015, 1,5 points de plus.
La France au dessus de la moyenne de la zone Euro
Dans la zone euro, nous nous situons pour la première fois légèrement au-dessus de la moyenne, alors qu’elle était encore en 2012 à 12,02% et nous à 10,28% : même dans la zone euro, la courbe s’est inversée, alors que la moyenne est plombée par les résultats catastrophiques de la Grèce et de l’Espagne. Et encore, pour l’Espagne, les réformes commencent à porter leurs fruits puisque le taux de chômage culminait à 26,1% en 2013 : 4,5 points de moins en deux ans. Il en va de même pour l’Italie, autre mauvais élève de l’Europe, puisque le chômage y était encore fin 2014 de 12,8% : 1,3 points de mieux en moins d’un an. Le contraste entre la France et ses voisins est encore plus marqué avec le Royaume-Uni, avec moitié moins de chômeurs que nous, et avec l’Allemagne. Ce dernier cas montre que le chômage avait déjà fortement reculé en 2011, en dépit de la crise, en raison des réformes structurelles du marché du travail.
La France est donc le seul pays dans lequel la courbe de chômage ne s’est pas inversée, alors que telle était la priorité du Président de la République. En effet, le taux de chômage n’obéit pas aux injonctions ministérielles, mais aux réformes : l’IREF a maintes fois rappelé l’importance des réformes Hartz, prises par le chancelier Schröder, pourtant social-démocrate, comme notre gouvernement prétend l’être : pas seulement une réforme du marché du travail, avec une plus grande flexibilité et moins d’aides aux chômeurs, pour les inciter à retrouver un emploi, mais aussi des mesures plus générales (baisse des taux d’imposition, moins progressifs, et baisse des charges sociales).
Le chômage dépend des réformes, pas des incantations
L’exemple allemand, comme la situation des Etats-Unis ou du Royaume-Uni, avec un marché du travail plus flexible que le nôtre, un code du travail sans comparaison, des prélèvements obligatoires plus faibles et moins progressifs, des réglementations plus légères, montrent qu’il n’y a pas de miracle en économie, mais seulement un effet des réformes ou des non-réformes. Même les pays les plus gravement atteints, comme l’Espagne, ont entrepris des réformes qui portent leurs fruits. En France, nous avons le marché du travail et le code du travail les plus rigides du monde (sans parler du SMIC dont l’IREF dénonçait il y a deux semaines les effets pervers), mais nous avons aussi refusé de toucher à nos dépenses publiques (nous voilà vice-champions du monde !) et à nos prélèvements obligatoires, plus de dix points au-dessus de la moyenne de l’OCDE (45,2% contre 34,4%). Faut-il s’étonner dans ces conditions que nous soyons les seuls dont la courbe du chômage ne se soit pas inversée ? Nous avons en réalité fait le choix du chômage, gaspillant notre capital humain et décourageant les plus jeunes, comme les plus entreprenants. En effet, le chômage n’obéit pas aux incantations magiques, mais aux réformes structurelles.
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